Le cabinet Lco.legal propose aux experts et aux passionnés du Web3 d’approfondir des points techniques, résultats de l’arrivée du nouveau cadre réglementaire MiCA et de la montée en puissance des crypto-actifs.
Dans cet article, le cabinet revient sur les enjeux auxquels sont confrontés les CASP face à deux réglementations qui interagissent : MiCA et la DSP2.
Le 30 décembre 2024 a marqué l’entrée en application de la première réglementation de l’Union européenne (« UE ») sur les crypto-actifs. Le règlement 2023/1114 du 9 juin 2023 constitue une avancée majeure de la réglementation sur les crypto-actifs qui ont un temps fait l’objet d’un vide réglementaire ou de réglementations nationales éparses, peu lisibles, fragmentant de facto la fourniture de services sur crypto-actifs au sein de l’UE.
Ce règlement, qui fait partie d’une série de mesures relatives à la finance numérique proposées par la Commission européenne en 2020 (Digital Finance Package), s’applique directement aux entités concernées depuis le 30 décembre 2024. Il encadre principalement :
- Les offres au public de jetons (ICO) ;
- Les activités d’émission et de gestion de jetons de monnaie électronique (EMT) et de jetons se référant à un ou des actifs (ART), plus communément désignés (stablecoins) ;
- La fourniture de 10 services sur crypto-actifs ;
- La lutte contre les abus de marché sur crypto-actifs.
Son élaboration s’est faite par l’assemblage des règlementations existantes concernant les marchés sur instruments financiers, la monnaie électronique et les abus de marché, et démontre la capacité du législateur européen à appréhender des technologies aussi disruptives que la blockchain et les crypto-actifs.
Toutefois, ce travail d’équilibriste n’est pas réalisé sans laisser certaines dispositions à préciser concernant l’interaction entre MiCA et d’autres réglementations, et en particulier la directive (EU) 2015/2366 qui encadre la fourniture des services de paiement (« DSP2 »).
Dans un courrier du 05 décembre 2024, la DG FISMA de la Commission européenne a mis en avant le risque soulevé par l’ajout du service sur crypto-actifs numéro 10, relatif au transfert de crypto-actifs.
Ce service, notamment lorsqu’il est réalisé sur des stablecoins pourrait s’apparenter à un service de paiement, impliquant de facto l’obligation pour l’entité qui le réalise de demander un agrément en tant qu’établissement de paiement, en plus de celui de Crypto-Asset Service Provider (« CASP »).
Le service de transfert de crypto-actifs :
Ce service est défini par MiCA (article 3 point 26), comme constituant un service de « transfert, pour le compte d’une personne physique ou morale, de crypto-actifs d’une adresse ou d’un compte de registre distribué à une ou un autre ».
MiCA précise qu’il n’inclut pas « les validateurs, nœuds ou mineurs qui pourraient faire partie de la confirmation d’une transaction » (Considérant 93 MiCA).
Dans ce cadre, l’intervention d’une entité est nécessaire pour le transfert de crypto-actifs d’une adresse de registre distribué (expéditeur) vers une autre adresse (bénéficiaire).
La réglementation ne précise pas si ces crypto-actifs doivent transiter par une autre adresse de registre distribué ou si le transfert doit être exécuté directement entre les deux adresses de registre distribué.
Le transfert s’opère néanmoins sur instruction du client[1].
Sa fourniture implique un certain nombre de risques et le prestataire est pleinement responsable de l’autorisation, l’initiation et l’exécution du transfert[2].
La réglementation ne précise pas les modalités opérationnelles de la réalisation de ce service, mais s’attache à la finalité de son exécution, à savoir un transfert de crypto-actifs.
Les services de paiement :
La DSP2 encadre la réalisation de plusieurs services de paiement, toutefois ceux pour lesquels le service de transfert de stablecoins pourrait remplir les critères de qualification sont :
- L’opération de virement entre un compte de paiement et un autre compte de paiement sur ordre de l’utilisateur (Service 3, c)) ; ou encore
- La transmission de fonds (money remittance), un service de paiement pour lequel les fonds sont reçus de la part d’un payeur, sans création de compte de paiement au nom du payeur ou du bénéficiaire, à la seule fin de transférer un montant correspondant vers un bénéficiaire ou un autre prestataire de services de paiement agissant pour le compte du bénéficiaire, et/ou pour lequel de tels fonds sont reçus pour le compte du bénéficiaire et mis à la disposition de celui-ci (Service 6).
En effet, le service de transfert de stablecoins s’apparente particulièrement à un transfert de fonds entre deux comptes, et ce sur ordre ou instruction d’un client.
Pour les CASP, les enjeux sont nombreux, d’autant plus que le recours à la transmission de stablecoins est une alternative qui permet le transfert sécurisé de fonds à l’international, sans risque de volatilité, de manière instantanée. Cela peut être le cas notamment pour le transfert par un CASP de stablecoins de ses clients vers un protocole DeFi pour le stacking de stablecoins.
Les CASP réalisant ce service courent ainsi le risque de se voir soumis à une couche réglementaire additionnelle et à des obligations d’agrément lourdes.
La fourniture du service de transfert de crypto-actifs par les PSAN durant la période de transition :
L’article 143 du règlement MiCA met en place une période de transition pour les prestataires de services sur crypto-actifs pouvant justifier avoir fourni des services conformément au droit national applicable avant cette date. Ces derniers ont ainsi la possibilité de continuer à fournir ces services pendant une période maximale de 18 mois suivant l’entrée en application de MiCA, soit jusqu’au 1er juillet 2026.
Toutefois, le service de transfert de crypto-actifs n’est pas prévu par l’article L.54-10-2 du Code monétaire et financier relatif aux services sur crypto-actifs en droit français. Aussi, la question se pose du bénéfice de la période de transition pour les prestataires proposant ce service.
Le régulateur européen des marchés financiers (« ESMA ») a cependant levé le doute sur cette problématique dans son Q&A n°2295[3], en précisant que tout au long de la période de transition, les dispositions du règlement MiCA ne s’appliqueraient pas aux entités qui fournissaient leurs services conformément au droit applicable avant le 30 décembre 2024.
Par conséquent, les PSAN ayant fourni un service de transfert de crypto actifs avant le 30/12, pourront continuer de fournir ce service pendant la période de transition et jusqu’à l’obtention de leur agrément.
La position des autorités compétentes :
Dans son courrier du 05 décembre 2024[4] aux ESAs, la DG FISMA a soulevé la nécessité de clarifier la réglementation sur l’interaction entre MiCA et la DSP2, notamment en raison d’une divergence de positions entre les Etats membres, en émettant l’option d’un possible « No action letter ». L’objet d’une No action letter[5] est de confirmer que les autorités compétentes ne prendront pas de mesures coercitives à l’encontre d’une entité qui n’a pas respecté une obligation spécifique.
Une No action letter devrait produire ses effets jusqu’à l’entrée en application du futur règlement européen sur les services de paiement et la transposition de la 3e directive sur les services de paiement (« DSP3 »), soit 3 ans après sa publication.
Toutefois, une telle exemption temporaire ne devrait pas couvrir les cas d’usage des stablecoins en tant que moyens de paiement pour les biens et services. Dans ce cadre, la DG FISMA invite les autorités de surveillance à élaborer un processus d’agrément aux conditions administratives allégées pour les CASP agréées selon MiCA.
Au regard de ces éléments, et sous réserve qu’une No action letter soit effectivement publiée par l’ESMA, les CASP devraient bénéficier d’une période d’exemption à la réglementation sur les services de paiement en ce qui concerne le service de transfert de crypto-actifs. Une attention particulière doit néanmoins être accordée à l’évolution de ce processus, tant les implications sont importantes pour les CASP.
Article rédigé par Egide Mugande – Marion Peresse-Brilleaud – mpb@lco.legal
[1] 5.4. Guideline ESMA75-453128700-1002 Consultation Paper on the Technical Standards specifying certain requirements of MiCA (3nd package)
[2] 5.5. Guideline ESMA75-453128700-1002 Consultation Paper on the Technical Standards specifying certain requirements of MiCA (3nd package)
[3] ESMA_QA_2295, 02 octobre 2024, ESMA_QA_2295
[4] Letter to EBA and ESMA on the interplay between MiCA and PSD2.pdf
[5] Règlement (UE) n° 1095/2010 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 instituant une Autorité européenne de surveillance